Dans un texte, que cosigneraient facilement Mmes Boutin, de la Rochère ou Bourges, inspiré par Mme Agacinski qui fait concurrence à Jeanne-Emmanuelle Hutin dans les colonnes de Ouest-France, MM Delors et Jospin, Mmes Roudy et Notat, entre autres, lancent un appel au Président de la République, contre un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui oblige la France à respecter l’article 18 de son propre code civil : Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.
Avec une grande honnêteté intellectuelle, il est question « d’acheter un bébé à l’étranger » dans « un marché des bébés » que l’on se fait « livrer » par des « mères porteuses » dont les « droits sont bafoués ». Il faut donc, disent-il s’opposer par le droit aux « contrats de mères porteuses. Sauf que le droit auquel ils s’opposent c’est bien celui de l’enfant à être inscrit sur l’état civil, comme étant bien le fils de son père (voire de sa mère).
Car si l’on revient au texte de l’arrêt de la CEDH, les faits n’ont qu’un rapport lointain avec le brûlot de nos vertueux signataires.
En résumé, un couple, après des tentatives de fécondation in vitro avec leurs propres gamètes, l’infertilité de la mère ayant été constaté, décide donc d’une fécondation in vitro d’un ovule issu d’un don et l’implantation des embryons fécondés dans l’utérus d’une autre femme. Tout cela en Californie. La "mère-porteuse" n’était pas rémunérée mais seulement défrayée. Mariée à un cadre et cadre elle-même, elle disposait de ressources bien supérieures au couple français, et elle agissait par solidarité.
Manque de pot, il se trouve qu’un employé du consulat français de Los Angeles, arbitrairement – mais c’est une habitude fréquente dans nos consulats, et nos amis Marocains humiliés dans leur demande de visa pourraient en témoigner, que de faire preuve d’arbitraire – refuse d’inscrire les jumelles à l’état-civil. Résultat, les deux petites qui n’ont même pas mis les pieds aux Etats-Unis – elles ne savaient pas encore marcher quand elles ont pris l’avion pour la France – sont états-uniennes, bien que leur père, c’est sûr, soit Français.
Ces jumelles de père Français, de mère biologique inconnue, n’ont pas la nationalité française, « n’ont pas de passeport français, n’ont pas de titre de séjour valable (même si elles sont protégées de l’expulsion par leur minorité), et pourraient se heurter à l’impossibilité de l’obtenir et donc de bénéficier à leur majorité du droit de vote et de séjourner sans condition sur le territoire français, et pourraient se trouver empêchées d’entrer dans la succession [de leurs parents]; de plus, en cas de décès du [père] ou de séparation, la [mère de fait] se verrait privée de tout droit sur les enfants, à leur préjudice comme au sien ; à l’occasion des démarches administratives où la nationalité française ou la filiation sont exigées (l’inscription des enfants à la sécurité sociale, à la cantine scolaire ou au centre aéré ou des demandes d’aides financière auprès de la caisse d’allocations familiales), ils doivent produire l’acte d’état civil américain accompagné d’une traduction assermentée pour prouver la filiation et sont livrés au bon-vouloir de leurs interlocuteurs. »
Parents 'coupables', enfants punis !
Autrement dit, ce qu’a souligné cet arrêt de la CEDH, c’est que ce sont les enfants qui sont sanctionnés, pour une fraude à une loi qu’ils n’ont à l’évidence pas commise. « Il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire. Il résulte toutefois (…) que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant. »
Peut-on rappeler aux signataires de ce texte qui dénonce cette « industrie de l’enfantement sur commande », qu’une proposition de loi sénatoriale, visait à autoriser et encadrer la gestation pour autrui ? Elle était signée notamment par un ancien Garde des Sceaux dont le nom reste attaché à une des plus grandes lois de la Ve République, Robert Badinter. L’exposé des motifs faisait d’ailleurs clairement allusion au cas traité par la CEDH*. Il mentionnait aussi des cas légaux de mères porteuses, dans le cadre de PMA : « les techniques d'insémination artificielle et de fécondation in vitro permettent en effet à une femme de porter un enfant conçu en dehors de tout rapport charnel, avec les ovocytes d'une autre femme ». Il relativisait l’ampleur de cette prétendue industrie. La proposition ne portait que sur les couples de sexes différents.
Cette « Lettre au Président de la République » par son outrance – comment oser parler de traite des êtres humains, quand il s’agit comme au Royaume-Uni d’une pratique strictement encadrée avec des mères porteuses volontaires et non rémunérées – vise à interdire tout débat. Peut-on avec Mesdames Michèle André ou Claudine Lepage, voire Najat Vallaud-Belkacem**, qui estimait que « la gestation pour autrui peut constituer un véritable don », penser que la légalisation de la GPA n’est pas une question taboue. Et ne mérite pas d’être traitée de manière aussi caricarurale !
* « L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 octobre 2007 qui avait validé la transcription sur les registres de l'état civil français des actes de naissance américains de jumelles nées en Californie en application d'une convention de gestation pour autrui a été récemment cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008. »
** Sévérement attaquée pour un rapport sur ce sujet, elle a fait depuis machine arrière : à la manoeuvre Jospin déjà...
ANNEXE
Sylviane AGACINSKI dans un livre de 2009 Corps en miettes, pulvérise la fameux Point Godwin : «On peut se demander si la leçon du nazisme a réellement été tirée tant l’opinion semble se soucier peu de ce que signifie notre humanité ou de l’esprit de nos lois. Elle privilégie la puissance technique et la demande individuelle. Certaines techniques permettent de confectionner des enfants, et il y a des individus qui "demandent" à utiliser ces moyens. Le reste a-t-il vraiment de l’importance ?»
Faut-il lui rappeler que l'Holocauste n'avait pas pour but de 'confectionner des enfants' mais de les détruire et que son propos condamne aussi toutes les techniques d'aides médicales à la procréation ?